Abhatoo - Centre Nationale de Documentation

Le changement climatique, illustré notamment par de longs épisodes de sécheresse, affecte en particulier les bassins de climat semi-arides dont les ressources en eau sont limitées et plus vulnérables aux problèmes de contamination naturelle et/ou anthropique. Le bassin versant carbonaté du Sebou, situé en zone semi-aride, dispose d’un tiers des ressources en eaux de surface du Maroc qui sont de plus en plus menacées par la dégradation de leur qualité en rapport avec la forte pression anthropique, les sécheresses et les aménagements hydrauliques.
Nos recherches menées sur ce bassin ont consisté à déterminer l’origine, le comportement et le devenir des éléments traces métalliques (ETM, dont les terres rares) dans les eaux et les sédiments du Sebou, et à quantifier les flux dissous d’éléments majeurs et traces et des matières solides exportés à l’aval du système fluvial. Pour cela, un suivi spatial amont-aval des eaux et des sédiments du Sebou au niveau de 10 stations a été réalisé, sous différentes conditions hydrologiques contrastées (hautes eaux, et basses eaux), ainsi qu’un suivi hebdomadaire à la station exutoire durant une année hydrologique. Le pH, la conductivité électrique (CE) et la température ont été mesurés in situ, et les échantillons d’eaux et de sédiments ont été analysés au laboratoire pour déterminer la composition chimique des éléments majeurs, des éléments traces métalliques (As, Cd, Co, Cr, Cu, Ni, Pb, Zn), des terres rares (REE), ainsi que la granulométrique et la teneur en carbone organique particulaire (COP) des sédiments. Des extractions simples à l’EDTA et l’HCl ont été effectuées sur les sédiments en vue de déterminer la fraction non-résiduelle des ETM.
Les eaux de surface drainant le bassin versant sont caractérisées par un fort pouvoir tampon et un pH alcalin (pH moyen = 8.15) et une conductivité élevée (moyenne = 965 μS.cm-1) mais variable, en lien avec l’influence de l’altération des formations carbonatées du bassin. La composition chimique des eaux est généralement dominée par les chlorures et le sodium, avec un faciès géochimique qui varie d’une station à l’autre en fonction de la nature lithologique dominante.
L’intensité de la contamination anthropique en ETM du compartiment sédimentaire, la disponibilité des métaux et leurs facteurs de contrôle, ont été évalués à l’aide d’une combinaison d’indices géochimiques et d’analyses statistiques multi-factorielles. Dans l’ensemble des stations considérées, la contamination est relativement modérée pour l’ensemble des ETM, excepté pour certains métaux (Cr, Zn, Cu et Pb) qui sont plus enrichis au niveau des stations de la région de Fès. Les éléments traces métalliques d’origine naturelle comme As sont liés aux carbonates, ou comme Co et Ni, aux argiles, aux oxydes de Fe et aux apports évaporitiques. Les éléments partiellement d’origine anthropique tels que Cd, Cu, Cr, Pb, Zn, sont liés au phosphore, aux oxydes, et/ou au COP, révélant leur source anthropique (déchets industriels, domestiques et d’origine agricole) et/ou leur contrôle par les composantes des sédiments.
Les concentrations totales en REE des sédiments les plus importantes sont observées à l’aval des barrages, soulignant le piégeage des terres rares dans la faction fine, ainsi que dans les régions fortement influencées par les apports évaporitiques. Le profil de distribution des terres rares (REE) normalisé par rapport aux roches du Sebou indique un léger enrichissement en LREE par rapport aux HREE, et présente un profil de distribution des REE non uniforme selon les stations, et plus ou moins aplatie, avec une anomalie positive en Ce. Les terres rares sont principalement d’origine naturelle et leur fractionnement est contrôlé par la taille et la nature des minéraux des particules. Les terres rares légères (LREE) ont une affinité pour la fraction très fine (les limons fins et les argiles ≤ 20 μm) et sont contrôlées par les oxydes de Fe et d’Al, alors que les terres rares lourdes (HREE) sont préférentiellement liées à la silice et aux limons grossiers (20 ≤ LG ≤63μm).
Le cadmium, le cuivre et le plomb sont les métaux des sédiments les plus extractibles à l’EDTA. Bien qu’il soit faiblement enrichi dans les sédiments, le cadmium a été identifié comme un élément à risque en raison de sa grande disponibilité. La relation entre l’enrichissement d’origine anthropique et la disponibilité de certains métaux (Cd, Pb, Zn) a révélé un risque de mise en solution de ces ETM en cas de baisse du pH de la rivière. Concernant les terres rares, ce sont les terres rares moyennes (MREE) qui sont les plus extractibles et les proportions en REE labiles varient d’une station à l’autre en fonction de la teneur en carbone organique particulaire des sédiments.
Le suivi temporel des eaux à la station exutoire a permis de mettre en évidence l’influence de la lithologie, des conditions hydriques et des lâchers de barrages sur la qualité et la composition géochimique des eaux. Cela est illustré par une contribution relative plus importante en période de basses eaux des eaux drainant les formations évaporitiques et des eaux de nappe (notamment en l’absence des lâchers de barrages), alors qu’en hautes eaux, ce sont plutôt les minéraux carbonatés qui influencent le plus la composition des eaux en éléments majeurs et traces. Les conditions hydro-climatiques (allongement des périodes sèches), ainsi que la construction des barrages ont un rôle considérable sur le transport de la matière solide et liquide. Ainsi, pour la période 2018-2019 les flux de matières solides à l’exutoire du Sebou ont été divisés par 3 et les exportations d’éléments majeurs ont diminué de 72% par rapport au cycle hydrologique 1997-1998.