Abhatoo - Centre Nationale de Documentation

Les archivistes français aiment citer Molière en affirmant qu’ils pratiquent le tri d’une manière naturelle et depuis toujours, comme M. Jourdain faisait de la prose dans Le Bourgeois gentilhomme1. Cela est exact, dans la mesure où le premier bureau de tri, intitulé Bureau du triage des titres, a été institué en France, sous la Révolution, pour protéger et préserver les droits et les privilèges nouvellement acquis. Par ailleurs, pour assurer l’inventaire, le tri, la conservation et la communication des archives publiques, des services spécialisés existent en France depuis la création des Archives nationales (1794) et départementales (1796). Une longue série de lois, de décrets et d’arrêtés ont été élaborés au fil des ans pour définir les compétences des archives, organiser leur fonctionnement, fixer leur statut légal. Mais comment peut-on définir le tri?

Le Conseil International des Archives le caractérise comme «une des fonctions archivistiques essentielles dont le but est de déterminer l’éventuelle élimination des documents, celle-ci ayant été décidée en fonction de leur utilité administrative courante et future et de leur valeur de témoignage, d’information et de recherche» (Charman 1984)2.

Le Vocabulaire des Archives en donne la définition suivante: «Opération consistant à séparer dans un ensemble de documents ceux qui doivent être conservés de ceux qui doivent être éliminés» (AFNOR 1986, 90).

En comparant les deux définitions on pourra remarquer que la communauté archivistique internationale considère le tri en tant que fonction, voire activité basée sur la compétence d’évaluer des documents; cette évaluation se définit par rapport à l’utilité des documents tout le long de leur cycle de vie. Les archivistes français mettent l’accent sur l’aspect exécution, manipulation; la règle qui préside cette manipulation comporte l’estimation de la valeur des documents en vue de leur conservation définitive. Elle consiste à séparer le bon grain de l’ivraie. Cette séparation comporte deux facettes: d’une part une sélection intellectuelle qui fait appel aux connaissances et au jugement de l’archiviste; d’autre part une sélection matérielle qui finit par l’élimination de certains documents.

En partant de ces deux définitions, il y a un certain nombre de questions qui surgissent: qui est responsable du tri ( qui?); quels types de documents font l’objet du tri? ( quoi?); à quel endroit s’opère le tri? ( où?); à quel moment se situe le tri dans le cycle de vie du document? ( quand?).

L’analyse qui suit se limite essentiellement à l’étude du moment du tri ( quand?), tel qu’il se reflète dans la législation archivistique française. L’auteure se propose de suivre le développement des dispositions légales qui concernent le tri depuis la création des Archives nationales jusqu’à nos jours; de mettre en évidence l’influence des débats théoriques des archivistes français sur le tri lors de l’adoption de nouvelles dispositions législatives en 1979; et enfin, d’esquisser un tableau des projets innovateurs récents qui ont le mérite de faciliter la collaboration entre les services producteurs et les Archives nationales en matière de tri.

Le présent article ne s’attarde pas sur les questions qui?/ quoi?/ où? pour les raisons suivantes: d’abord elles sont sous-jacentes à la question quand? et, de ce même fait, certains aspects y sont touchés (en discutant les recommandations relatives au tri qui devrait commencer dès la phase des archives courantes, on traite aussi des auteurs du tri ( qui?), ainsi que de la nature des documents triés ( quoi?); par ailleurs, une étude complète sur les acteurs, la place et les catégories des documents soumis au tri dépasserait de loin l’espace accordé à cet article.