Auteur :
DE HAAS
Hein
DE MAS
Paolo
Année de Publication :
0
Type : Article
Thème : Démographie
Couverture :
Maroc
Introduction
Les campagnes maghrébines sont généralement caractérisées par une forte migration
vers les centres urbains et vers l'étranger. Ce sont essentiellement les régions relativement les
moins favorisées en terme de conditions écologiques, comme l'aridité, qui ont connu les
mouvements de départ les plus forts et les plus précoces (Bencherifa 1991). Les oasis
présahariennes et beaucoup de régions montagneuses (Rif, Anti-Atlas) figurent parmi ces
zones. Les ressources naturelles et les moyens d'existence limités et, parallèlement, la forte
pression démographique, semblent généralement avoir eu un effet stimulant sur l'émigration.
A partir de la plupart des études effectuées on peut conclure que le lien de causalité
entre la migration et le développement agricole dans ces régions marginales, est sans doute
négatif. Dans ce cadre, on peut distinguer globalement deux processus paradoxaux : d'une
part, la marginalisation économique de l'agriculture et la simplification ou même l'abandon
de la mise en valeur des terres, et d'autre part, une surexploitation croissante des ressources
naturelles.
Il serait question d'une forte marginalisation économique et d'une désaffection de la
population rurale vis-à-vis l'agriculture. Ce développement serait causé par l'accroissement
rapide de l'importance des revenus non-agricoles, notamment d'origine migratoire, et,
parallèlement, la diminution significative de la part de l'agriculture dans le total des revenus.
Auparavant, l'agriculture avait une fonction indispensable pour l'économie régionale, vu son
rôle dans l'autosuffisance. Au départ de l'intégration administrative des campagnes
marocaines dans l'état-nation marocain et dans le contexte «moderne» de l'économie
nationale et internationale, le rôle primordial du secteur agricole s'est évanoui presque
complètement. La migration a notamment créé des possibilités pour gagner un revenu moné-
taire relativement élevé hors, du bled. Un développement qui, en général, a «libéré» les
ruraux de la pauvreté et de la dépendance absolue de l'agriculture.
De plus, l'intégration des différentes régions dans l'économie nationale et interna-
tionale, la mobilité accrue et l'infrastructure améliorée, ont généré une situation dans laquelle
l'agriculture relativement peu productive des régions marginales doit concurrencer avec
l'agriculture des régions mieux dotées sur le plan écologique et pluviométrique, souvent plus
«modernisée » et plus «mécanisée ».
De cette manière l'agriculture serait devenue tellement marginalisée, qu'elle est
devenue sujette à une désaffection ou même à une aversion de la part des ruraux. Les
conséquences seraient une extensification générale de la mise en valeur, la négligence de
l'infrastructure agricole (système d'irrigation, terrasses, digues) et, dans certains cas, même
l'abandon total des parcelles. Lorsque l'agriculture traditionnelle et intensive existe encore, il
s'agit d'une forme fréquemment décrite comme «sentimentale» ou «rituelle».
Deuxièmement, on observe fréquemment une surexploitation progressive des
ressources naturelles, qui inclut le déboisement, le surpâturage et le pompage excessif de
l'eau souterraine, ce qui peut provoquer la dégradation écologique, comme l'érosion du sol, la
croissance de la salinité l'ensablement ou la baisse de la nappe phréatique (Fassi 1992: 52-53;
Skouri 1990: 332). Par suite de ces développements, c'est particulièrement l'agriculture
irriguée traditionnelle, exigeante et écologiquement très sensible, qui semble tomber de plus
en plus en désuétude (Charoy & Torrent 1990: 229; De Mas & Kruithof 1992: 122). Une telle
surexploitation est souvent rattachée à la désaffection vis-à-vis de l'agriculture, mais autant à
l'individualisation. Tant la négligence de l'infrastructure agricole que la surexploitation des
ressources naturelles provoqueraient la dégradation écologique, ce qui ferait de l'agriculture
une activité encore moins attractive. Dans ce cas, il s'agit d'un cercle vicieux, dans lequel ces
deux processus se renforcent.
Voici un image apocalyptique des milieux ruraux en pleine dégradation, entraînée par
l'émigration, qui a bouleversé l'ordre socio-économique et désintégré le système agricole
dans les zones de départ; un processus qui est en train de détruire de plus le potentiel produc-
tif. Autrement dit: la migration, la plus élevée dans les zones écologiquement marginales,
conduit à une marginalisation accentuée. Dans cette perspective le processus de
«modernisation» a eu un impact généralement négatif sur le développement agricole dans les
zones de départ. Dans ce cadre, la migration joue un rôle primordial, en tant que la voie
principale vers des revenus extérieurs, vers la prospérité, vers la vie « moderne » et l'indépen-
dance part rapport à l'agriculture.
Cependant, un nombre significatif d'études publiées révèlent une forte différenciation
spatiale des retombées écologiques et humaines de la migration dans l'agriculture marginale.
Dans plusieurs régions, on constate des investissements considérables dans le développement
agricole (Aït Hamza 1988; Bencherifa & Popp 1990; Bencherifa 1991; De Haas 1995; Ferry
& Toutain 1990; Bisson 1990; Bou Ali 1990; Skouri 1990). Il est remarquable que dans ces
cas-là ce soient justement les revenus migratoires qui semblent jouer un rôle important dans
ces investissements agricoles. En outre, il s'avère qu'un faible niveau d'intensité de la mise en
valeur agricole peut très bien coïncider avec une préservation du potentiel écologique. La
réalité est donc beaucoup plus différenciée que le stéréotype apocalyptique susmentionné
(Bencherifa 1991).
Cette attention récente pour l'impact disparate de la migration est en concordance
avec la littérature scientifique internationale contemporaine. En accentuant l'impact disparate
des transformations socio-économiques et politiques générales au niveau régional et local,
cette approche implique également une réévaluation des études régionales (Blaikie &
Brookfield 1987; Adams 1990).
Sur la base de deux études menées par les auteurs, respectivement dans une oasis dans
la Province de Tata (Agadir-Tissint; Hein DE HAAS) et la Province Rifaine d'Al Hoceïma
(Beni Bou Frah; Paolo DE MAS), on analysera cette problématique.