Auteur :
Ibourk
Aomar,
Ghazi
Tayeb
Année de Publication :
2024
Type : Article
Thème : Travail et Emploi
Couverture : Maroc
L’émergence fulgurante de l’intelligence artificielle (IA) représente un phénomène mondial, marqué par une croissance exponentielle des publications et des investissements massifs atteignant 189,6 milliards USD en 2021, contre environ 14,7 milliards en 2013. Cette accélération suscite une prise de conscience accrue de la nécessité pressante de mettre en place une gouvernance efficace de l’IA, comme en témoigne l’augmentation significative du nombre de projets de loi dédiés, passant de 1 en 2016 à 37 en 2022.
Dans ce contexte, la question de la gouvernance du marché du travail revêt une importance particulière. En effet, l’impact de l’IA sur le marché du travail est une préoccupation centrale, avec des estimations suggérant que près de 40% de tous les emplois dans le monde pourraient être exposés à l’IA. Toutefois, des études indiquent que l’IA générative a le potentiel d’enrichir les emplois plutôt que de les détruire. Sur les quatre prochaines années (jusqu’en 2027), même pour les emplois qui ne subiront pas de transformations majeures, près de la moitié (44 %) des compétences clés exigées aujourd’hui dans les entreprises subiront des transformations.
Le Maroc, engagé dans une préparation active à l’ère de l’IA, doit avancer dans l’établissement des fondements essentiels à cette transition. Ce policy paper évaluera ainsi le niveau de préparation du Maroc en ce qui concerne la mise en place des piliers «fondamentaux» de la préparation à l’IA, à savoir : son infrastructure numérique, son capital humain et ses politiques du marché du travail.
Concernant l’infrastructure numérique, le Maroc a réalisé des avancées notables, notamment dans l’accessibilité à Internet, passant de moins de 1% en 2000 à environ 88% de la population utilisant Internet en 2021. Cependant, des lacunes subsistent, notamment dans la sécurité en ligne et les infrastructures de commerce électronique, malgré une augmentation notable du nombre de serveurs Internet sécurisés, atteignant environ 442 (pour un million de personnes) en 2020.
En ce qui concerne la prévalence et la distribution équitable des compétences numériques au sein de la population active, il est nécessaire d’améliorer la qualité globale de l’éducation au Maroc pour répondre aux besoins de l’IA et des technologies numériques. Avec un indice du capital humain de 0,5, le pays doit relever des défis en matière d’apprentissage de base, avec 66% des enfants de 10 ans en difficulté. De plus, plus de 70% des élèves de 15 ans ne maîtrisent pas les compétences minimales pour la vie adulte. L’accès limité aux outils numériques dans les
écoles aggrave la situation, avec seulement 41% des écoles équipées de projecteurs et 22% les utilisant effectivement. Le faible encadrement de la population active limite également la capacité à développer des compétences adaptées à l’IA, exacerbant les défis liés aux compétences en TIC. Des disparités significatives dans les compétences, telles que l’écriture de programmes informatiques (10,06% de la population de 15 ans et plus) et la vérification de la fiabilité des informations en ligne (19,24% de la population de 15 ans et plus), mettent en évidence la nécessité d’investir dans des programmes de formation ciblés pour relever les défis de l’ère numérique et de l’IA au Maroc.
La facilité de la réaffectation de la main-d’œuvre et la présence de filets de sécurité sociale sont des éléments cruciaux pour réallouer et protéger les personnes impactées par les transitions dues à l’IA. Cependant, le Maroc fait face à des défis majeurs dans ce domaine, notamment la rigidité du marché du travail, qui entrave l’embauche, le licenciement et la détermination des salaires. De plus, la faiblesse des services d’intermédiation sur le marché du travail, malgré des progrès récents, limite l’accès à ces services pour certains groupes démographiques et régions, tandis que les contraintes réglementaires freinent l’expansion des services privés. En outre, le système d’information sur le marché du travail est fragmenté, entravant la compréhension dynamique du marché et contribuant à l’inadéquation des compétences entre demandeurs d’emploi et employeurs. De la même manière, la rigidité du système éducatif et de formation limite les opportunités d’apprentissage tout au long de la vie et entrave l’adaptabilité aux évolutions du marché du travail, malgré les avancées.
Finalement, et bien que des progrès aient été réalisés dans la mise en place de filets de sécurité sociale et de mécanismes de flexisécurité, des défis subsistent, notamment dans l’efficacité de la mise en œuvre de ces protections, face aux contraintes structurelles du marché du travail marocain.