Auteur :
Grimault
Julia,
Tronquet
Clothilde,
Bellassen
Valentin
Année de Publication :
2018
Type : Article
Thème : Gestion écologique
A partir de 2020, le secteur de l’usage des terres, des changements d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF) sera pleinement inclus dans les objectifs climatiques européens pour 2030. Suite à un processus de consultation et de négociations de près de deux ans, le Conseil et le Parlement européens ont adopté le 30 mai 2018 le Règlement (UE) 841/2018 fixant les règles pour comptabiliser les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre de ce secteur. Ce règlement vient renforcer la contribution nationalement déterminée (NDC) de l’Union européenne à l’accord de Paris et pourrait servir à influencer la manière de prendre en compte le secteur des terres dans le futur régime climatique international à partir de 2020.
Ce Point Climat répond ainsi à deux principaux objectifs :
1. décrire et expliquer le contenu du Règlement qui va déterminer la manière dont seront comptabilisées les contributions du secteur des terres, et notamment des forêts, aux objectifs climatiques européens ;
2. décrypter les différents sujets de débat et les enjeux politiques et techniques sous-jacents aux règles proposées.
Le Règlement sur le secteur UTCATF encadre la comptabilité des émissions et des absorptions de ce secteur en fournissant trois éléments clés :
1. Un objectif chiffré de bilan neutre ou positif à atteindre : les émissions de certaines catégories de terres (comme les terres déboisées ou la gestion des cultures par exemple)
doivent être compensées par des absorptions au moins équivalentes dans le même secteur (via les prairies, les terres boisées, ou encore les terres forestières gérées).
2. Des règles comptables précises pour les différentes catégories de terres. Les règles proposées sont similaires à celles prévues dans le cadre de la 2ème période d’engagement
du Protocole de Kyoto 1. Outre quelques modifications mineures visant principalement à actualiser les périodes de référence et à renforcer la précision et la couverture de la comptabilité du secteur, une modification est également apportée sur la manière d’élaborer les « niveaux de référence pour les forêts » (FRL), qui seront maintenant construits en prolongeant les pratiques historiques de gestion forestière. Le double rapportage, auparavant différencié entre le Protocole de Kyoto et la CCNUCC, est également abandonné : seul le rapportage CCNUCC par catégories de terres est conservé.
3. Des mécanismes de flexibilité pour aider les différents Etats-Membres à atteindre leurs objectifs climatiques, que l’on peut présenter en trois grandes catégories :
• Les flexibilités générales internes au secteur UTCATF : entre les différentes catégories de terres, entre les différents Etats ou entre les deux périodes d’engagement (2021-2025 et 2026-2030).
• Une option de flexibilité réciproque avec les secteurs de l’ESR (Effort Sharing Regulation) qui rassemble les secteurs diffus (agriculture 2, bâtiment, transports, déchets). Si le secteur UTCATF est en débit comptable, c’est-à-dire que les émissions totales dépassent les absorptions totales d’un point de vue comptable, des quotas ESR pourront être utilisés pour lui permettre de respecter ses objectifs ; si le secteur UTCATF est en crédit comptable, une part de ces crédits pourra à l’inverse être utilisée pour la conformité des secteurs de l’ESR dans la limite de 280 MtCO2éq à l’échelle européenne. Cette flexibilité totale est ensuite répartie par pays en fonction du poids relatif de leur secteur agricole dans les émissions des secteurs de l’ESR sur la période 2008-2012.
• Un nouveau mécanisme de flexibilité interne à la catégorie des terres forestières gérées. Dans le cas où le secteur des terres reste un puits net à l’échelle de l’UE, chaque Etat-Membre est autorisé à présenter un petit débit comptable sur les terres forestières gérées. L’enveloppe maximale de débit autorisée est de 360 MtCO2éq. pour l’UE sur une période de 10 ans. Elle est répartie entre les Etats-Membres en proportion de leur puits moyen entre 2000 et 2009 et de la part de leur surface forestière sur leur surface totale.
Si les options mentionnées dans le premier point sont classiques et n’ont pas suscité de craintes particulières de la part des parties prenantes, les deux autres formes de flexibilité
ne sont pas consensuelles.
La flexibilité entre les secteurs de l’UTCATF et de l’ESR considère en effet une forme d’équivalence entre les émissions évitées et les émissions séquestrées, qui ne fait pas l’unanimité.
Les opposants de cette option affirment que les émissions séquestrées par les forêts ne devraient pas aider les secteurs de l’ESR à atteindre leurs objectifs tandis que ses partisans la justifient notamment par le potentiel de réduction d’émissions restreint du secteur agricole.
Le second point de débat est lié à la comptabilité des terres forestières gérées et au « niveau de référence pour les forêts » (FRL), qui cristallise les enjeux techniques et politiques. En particulier, là où les précédents FRL anticipaient les effets projetés des politiques forestières, les nouveaux FRL ne reposent que sur la poursuite des pratiques historiques de gestion forestière telles que documentées sur une période de référence. Le choix de la période de référence est crucial, dans la mesure où il détermine notamment le taux de prélèvement « au fil de l’eau » qui sera retenu. Finalement basés sur la poursuite des pratiques de gestion forestière durable mises en évidence entre 2000 et 2009, les nouveaux FRL n’intégreront pas les politiques d’augmentation des prélèvements ultérieures mises en place dans certains pays, en lien notamment avec la Directive Européenne sur les Energies Renouvelables. Cette option permet de rendre visible d’un point de vue comptable les émissions issues d’une augmentation des prélèvements prévue par les politiques publiques. Le mécanisme de flexibilité pour les terres forestières gérées a été ajouté afin de permettre aux États membres d’accroître temporairement leur intensité de récolte et d’éviter ainsi de décourager tout développement des usages du bois.
Ces différentes règles et compromis reflètent notamment les ambiguïtés de la contribution du secteur forestier à l’atténuation du changement climatique ; ce dernier permet d’une part l’absorption du CO2 via le maintien et le renforcement des puits de carbone, mais il génère également des réductions d’émissions dans les autres secteurs via le recours aux produits-bois venant se substituer aux énergies fossiles et à des matériaux plus énergivores.