Abhatoo - Centre Nationale de Documentation

Dans les périmètres irrigués du Maroc, la pollution nitrique diffuse des eaux souterraines diminue le potentiel des ressources hydriques de bonne qualité, génère un risque sanitaire pour la population rurale et compromet le développement socioéconomique du pays. Sa maîtrise nécessite des connaissances suffisantes des causes et des mécanismes responsables de cette pollution.
La présente étude réalisée dans le périmètre irrigué du Tadla, où ce problème commence à prendre de l’ampleur, a pour objectif de cerner cette pollution à travers une démarche complète et approfondie comportant :
- à l’échelle régionale :
• l’état des lieux de la contamination des aquifères par les nitrates ;
• l’identification et l’analyse des facteurs explicatifs de cette pollution ;
- et à l’échelle de la parcelle :
• l’expérimentation et l’évaluation d’un modèle qui décrit le mouvement de l’eau et le transfert et les transformations des solutés dans la couche du sol non saturée (LEACHM).
Cette note consiste en une synthèse des principaux résultats obtenus dans le cadre de cette étude. Après présentation de l'état des lieux de la pollution des ressources en eau souterraine, un modèle d’évaluation du risque de lixiviation de l’ion nitrate est proposé et appliqué dans le contexte du Tadla. Ce modèle est basé sur la distinction de trois ensembles de facteurs liés respectivement à la vulnérabilité des aquifères, à l’action anthropique et à l’hydrodynamique et la biogéochimie du sol. Il permet d’exploiter des bases de données relatives au sol et aux pratiques agricoles adoptées par les agriculteurs de la région pour expliquer les niveaux de pollution nitrique des eaux souterraines. Il définit également un certain nombre de paramètres mesurés ou calculés (indicateurs de pollution) qui peuvent être utilisés pour l’évaluation de l’impact des pratiques agricoles sur la qualité nitrique des eaux souterraines.
Sur le plan scientifique, cette étude apporte une réelle contribution aux connaissances scientifiques en matière de dynamique de l’azote minéral dans la couche du sol non saturée au cours de différents cycles culturaux et pendant l’interculture en région méditerranéenne irriguée et son interaction avec les conditions écologiques (température et régime hydrique du sol). Par rapport aux nombreuses références qui existent sur ce sujet dans plusieurs régions du Monde, les résultats de cette étude montrent des différences importantes dans le fonctionnement des cycles carbone-azote qui sont dues au contexte pédoclimatique étudié. Le risque de pollution de la nappe par l’ion nitrate est, en effet, sans comparaison avec d’autres références agronomiques notamment celles des zones tempérées et se trouve ainsi le résultat i) d’une minéralisation intense de la matière organique native du sol pendant et après la période des cultures, ii) d’une libération appréciable d’ammonium fixé, iii) ainsi que d’une surfertilisation chronique. Une réflexion intéressante a été engagée sur l’ion ammonium non échangeable, fixé sélectivement dans l’espace inter-feuillets des argiles. Cette réflexion ouvre des perspectives pour des études plus détaillées de ce pool d’azote qui est actuellement négligé dans les stratégies de gestion de l’azote dans les systèmes agricoles du Tadla mais qui pourrait contribuer activement à la pollution nitrique des eaux souterraines dans cette région.
Ces études permettront également une meilleure compréhension du statut de fertilité azotée des sols du Tadla.
Par ailleurs, la modélisation offre un outil simple et précieux pour la gestion agricole et environnementale des systèmes de culture. L’évaluation, dans les conditions du Tadla, des deux sous modèles de LEACHM : LEACHW pour le régime hydrique et LEACHN pour le transfert et les transformations d’azote dans le sol confirme l’intérêt d’un tel outil pour piloter les irrigations, contrôler le drainage et préserver les ressources en eau souterraine des polluants agricoles ou pour une évaluation environnementale des pratiques agricoles notamment lorsque le mouvement préférentiel de l’eau n’est pas dominant. En revanche, le sous modèle LEACHN, qui présente des limitations à simuler la dynamique d’azote minéral dans le sol, nécessite certaines améliorations.
Sur le plan pratique, les connaissances acquises dans le cadre de cette étude ont permis d’étayer des recommandations, concernant la conduite raisonnée de l’irrigation et de la fertilisation azotée et la gestion rationnelle des systèmes de culture, qui permettront d'appuyer le programme d’action de protection des ressources en eau dans cette région. Ainsi, le choix de cultures et de rotations culturales appropriées, l’enfouissement des résidus de récolte à C/N élevé, tels que les pailles des céréales, le semis précoce, dense et sans apport d’azote et la pratique des dérobés d’été constituent à cet effet, des moyens efficaces pour une réduction du risque de lixiviation de l’ion nitrate.
Enfin, sur le plan méthodologique, la démarche de recherche-développement adoptée dans cette étude "du régional au local" mérite d’être développée sur le plan pratique. Elle mérite également d’être appliquée pour les autres périmètres irrigués et pour d’autres types de polluants en particulier les pesticides qui constituent une menace sérieuse pour la qualité des eaux souterraines et pour la santé de la population.