Abhatoo - Centre Nationale de Documentation

Cette contribution essaie de mettre en lumière les origines de la défaite des Songhay par l'armée marocaine, et ce à travers deux écrits : Les Tarikh (le Tarikh Al Fattash et le Tarikh As-Sudan) et L’Epopée d'Askia Muhammad. Il est vrai qu'on trouve beaucoup de différences entre ces deux formes verbales. Les 850 pages des deux chroniques très détaillées révèlent une vision islamique et africaine par des narrateurs fidèles au souvenir de l'empire mais vivant sous l'influence de l'occupation marocaine, Par contre, les 1602 vers de L'Epopée d'Askia Muhammad offre un autre portrait du passé beaucoup moins détaillé, moins linéaire, et plus symbolique. C'est aussi un portrait qui manifeste de façon plus profonde la culture des Songhay. Mais au delà des différences de forme et de fond entre ces deux narrations, la chronique écrite, chargée de dates, de noms, et de lieux, et l'épopée orale, souvent plus métaphorique, on remarque une concordance sur une des questions qui préoccupent les chercheurs aujourd'hui : comment est-ce que la puissante armée Songhay de l8.000 guerriers a-t-elle pu battre en retraite devant une colonne marocaine de quelques milliers de soldats qui venaient de traverser le Sahara? Certes, au premier plan il faut mettre en relief l'échec de la stratégie militaire des Songhay à Tondibi et, d'une façon plus générale, le désordre politique et économique qui marque les dernières années du Royaume. Mais chez les narrateurs musulmans qui écrivaient peu après la chute de l'empire aussi bien que chez le griot du 20ème siècle, on trouve des explications sociales de la défaite qui renvoient à des valeurs fondamentales des Songhay. Ces valeurs constituent à la fois une richesse pour les Askias mais aussi leur talon d'Achille. Mais avant d'aller plus loin, Il faut revoir les chroniques. Si on y trouve de légères divergences sur les dates et les descriptions des batailles, les narrateurs de ces textes s'accordent sur le fait que l'empire Songhay s'est écroulé non seulement à cause de la supériorité militaire des marocains et de l'échec de la stratégie Songhay à Tondibi, mais aussi à cause de la décadence générale, surtout celle de la noblesse. L'insistance des chroniqueurs sur la décadence morale des Songhay comme cause de la chute des Askias s'explique non seulement par la vie de la noblesse de Gao, mais aussi par le fait que ces chroniqueurs se réfèrent à une religion qui exige un comportement extrêmement correct de ses adeptes. Ceci n'est pas du tout étonnant car les narrateurs, occupant de temps en temps des postes religieux importants, sont à maints égards des représentants de l'Islam. Le fait d'écrire leurs chroniques et d'invoquer le nom du Prophète à chaque page souligne le côté presque sacré de ces textes aux yeux des narrateurs et aux yeux de leurs lecteurs.