Abhatoo - Centre Nationale de Documentation

A travers les changements qu'a connu la société marocaine tout au long de son histoire, la famille présentait une certaine image de solidité et de permanence. Alors que les grandes unités tribales et politiques disparaissaient, la famille réussissait à préserver une continuité relative. Sa force de résistance vis-à-vis des courants de changement devait sans doute beaucoup à l'importance capitale de ses fonctions productives et reproductives, non seulement pour l'intérêt étroit de ses membres, mais aussi pour celui de l'ensemble du groupement social. Aussi, la société marocaine avait procédé depuis bien longtemps à préciser les détails les plus infimes de la vie familiale et en faire le modèle régulateur de l'ensemble des rapports sociaux. Le concept qui désigne la famille dans la société marocaine est celui de "Ayla". Sa forme traditionnelle correspond à la famille élargie qui se caractérisait essentiellement par sa descendance patrilinéaire, sa référence à un ancêtre fondateur, et sa cohésion sociale que renforçait une propriété et une résidence commune. Cette cellule sociale de base jouait alors un rôle important dans la société. Elle était particulièrement active lors des principaux événements de la vie sociale (naissances, mariages, divorces, décès, fêtes religieuses), ainsi que durant les périodes de crise et de besoin pressant. L'aide qu'elle procurait et l'échange social qu'elle assurait faisait que l'individu s'accrochait d'abord à sa famille reléguant ses autres appartenances au second plan. Mais alors qu'il y avait auparavant un certain accord concernant la conception de la famille, les changements économiques, sociaux et culturels qui se sont produits au Maroc tout au long du XXème siècle, et se sont même accélérés lors de la période d'indépendance, ont crée une nouvelle situation caractérisée aussi bien par une diversification plus marquée des structures familiales, que par une modification de la nature de leurs rapports internes et externes. Derrière cette multiplicité de types et de rapports familiaux il y a, entre autres facteurs, la croissance démographique, l'expansion de la monétarisation, la diffusion du calcul économique et des nouveaux modèles de consommation, l'intervention de l'Etat dans les domaines considérés jadis comme étant du ressort de la famille, l'instruction des filles, l'entrée des femmes dans le marché du travail, l'adoption de plus en plus marquée du modèle urbain européen et l'émigration massive des campagnes vers les villes. C'est dans ce contexte de changement rapide et généralisé que ce document essaie d'étudier la famille à Fès, avec l'intention de repérer ses mécanismes d'adaptation, et de préciser la réponse qu'elle incarne aux niveaux spatial, économique, social et démographique. La question centrale est de savoir exactement l'impact des pressions de la vie urbaine, autant sur la vie familiale à l'intérieur du ménage, qu'au niveau de ses rapports avec le réseau familial. L'idée suggérée à l'heure actuelle dans certaines études est celle d'une nucléarisation croissante de la famille marocaine, une famille qui se verrait dépouillée de ses anciennes fonctions productives, politiques et religieuses pour n'être finalement qu'une simple unité de résidence et de consommation. Est-ce vraiment le cas de la famille marocaine de Fès ? Peut-on concevoir la famille à Fès comme n'étant plus qu'un lieu où on assure la socialisation des enfants et l'équilibre psychologique des adultes ? Peut-on y envisager le ménage séparément du réseau familial ? Encore faut-il déterminer la nature de ces liens, leur force, leur cycle, les mécanismes selon lesquels on les mobilise et les stratégies qui les sous-tendent. Reste à définir les phases de la vie familiale et les conditions socio-économiques qui renforcent ou contrecarrent l'ouverture du ménage sur la famille large.