Abhatoo - Centre Nationale de Documentation

L'itinéraire de Mehdi Ben Barka, en particulier à la fin des années 50, peut se décrypter comme l'histoire de l'émergence d'une « nouvelle gauche » marocaine, non communiste, auprès de la composante communiste, plus ancienne. Au Maroc, dans le champ politique proprement marocain, le communisme semble avoir précédé le socialisme? A travers les modèles dominant ailleurs, les processus d'émergence et de différenciation au sein de la gauche, notamment dans de nombreux pays occidentaux et du Tiers monde, l'évolution inverse semble avoir prévalu. Les organisations communistes semblent s'être constituées en général après et souvent à partir des organisations socialistes mères. Le nationalisme marocain du début du siècle apparaît comme le milieu naturel de déploiement des acteurs politiques marocains, quels que soient leur profondeur historique, leur contenu social, leurs inclinations idéologiques. Les grandes lignes du parcours de Ben Barka évoquent l'évolution de certaines expériences considérées comme significatives, telle celle du Vietnam, où l'idéal communiste fut souvent nourri par le nationalisme de combat. Au Maroc, le socialisme dans son expression benbarkienne, fils légitime du mouvement national, a entretenu une relation comparable avec la lutte nationale. Poser la question des rapports de Ben Barka avec les communistes ne renvoie pas nécessairement aux relations tumultueuses entre des acteurs qui, à la faveur des luttes politiques déclenchées à la veille et au lendemain de l'indépendance, à l'heure de la guerre froide, pouvaient s'estimer en concurrence face aux enjeux intérieurs et extérieurs de la vie politique marocaine, alors encore en voie d'affirmation. Cette perspective d'étude ne permet pas seulement d'explorer des pans entiers de l'itinéraire du dirigeant nationaliste restés inexplorés ou peu connus jusqu'à aujourd'hui. Ben Barka a en effet été le plus souvent appréhendé à partir de ses relations avec les courants antagonistes de l'Istiqlal ou avec le pouvoir. Il permet surtout un angle d'étude favorable à l'esquisse d'une histoire de la pénétration des idées socialistes au Maroc. Approcher Ben Barka permet d'entreprendre l'histoire de ce que certains dénomment "le progressisme marocain", d'autres "la gauche marocaine" ou encore "l'aile populaire du mouvement de libération nationale". Il permet surtout de remonter aux sources de ce positionnement et de cette démarche, de la saisir à une étape importante de son énonciation, à un moment fondateur qui manifestement structurera de manière durable le champ politique marocain, ses acteurs, leurs profils et leurs démarches. Le profil de l'itinéraire de Ben Barka est difficile à saisir en général et, en particulier, du point de vue de ses rapports aux communistes.